Traiter la Tuberculose en altitude ou l’histoire des sanatoriums

M8
62 min readApr 13, 2021
‘‘Il convient d’effectuer sur le malade une reprise à zéro. Laver ses erreurs et ses préjugés, redresser sa manière de penser et de sentir, déformées de nos jours par les conditions anormales du travail spécialisé, par la vie des grandes villes et les faux-idéals ; lui refaire un tonus dynamique par une véritable rééducation.’’ Propos du docteur Saidman, 1932.

Avant propos : histoire des sanatoriums et de la tuberculose

La tuberculose est une maladie infectieuse due au bacille de Koch.

La maladie se développe facilement dans les endroits peu aérés, et avec peu d’ensoleillement. Les villes de l’ère industrielle sont le terrain propice au développement de la maladie. En Allemagne, aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne, en Italie, et dans toutes les nations industrialisées, du XIXème au début du XXème, la tuberculose est un véritable fléau urbain… Elle constitue l’une des plus grande épidémie de l’ère moderne.

L’hygiénisme apporte un tournant à la médecine. En effet, l’objet du médecin n’est plus seulement le corps mais le rapport du corps avec son environnement. Ainsi naissent les sanatoriums, complexes sanitaires dédiés à la lutte contre la tuberculose.

J’ai réalisé ce travail qui a été publié dans le cadre de ma 2ème année de Licence, à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Versailles en 2012, dans le cadre des recherches de Madame Susanne Stacher, Architecte et Professeure. Il constitue donc un écrit protégé dont la copie est interdite.

L’objectif de ce travail est d’explorer l’architecture hygiéniste des Sanatoriums au travers de différents concepts d’analyse. Le travail se focalise à la fois sur l’objet architectural, et aussi son environnement, avec notamment une attention portée à la montagne et aux citadins à la montagne. En effet l’environnement alpin constitue un idéal hygiéniste dans les grandes villes et auprès de la bourgeoisie.

Les concepts et grilles de lecture sont :

  • Les Mythes (idéologies, rêves, discours)
  • La Pureté (Hygiène, rituels, pureté de la forme)
  • L’Utopie et la Transfiguration
  • Les Classes Sociales (Statuts et habitudes)
  • Les Rites (Occupations, ordre du jour, alimentation)
  • Le Voyage
  • Le corps (Le corps passif, le corps utopique, degré de vitalité, la mort…)
  • L’Architecture (Implantation, morphologie, relation avec le lieu, expression architecturale, détails, correspondance avec les utopies)

Les remerciements vont à :

  • Monsieur Didier Schulman (conservateur du centre Pompidou, chef de service de la bibliothèque Kandinsky) pour m’avoir autorisé à accéder aux documents d’archives (fond Pol Abraham, et Brancusi).
  • Madame Christine Sorin (responsable architecture et design à la photothèque des archives de la bibliothèque Kandinsky).
  • L’ensemble du personnel de la Fondation Santé des Etudiants de France pour m’avoir permis d’accéder aux revues Existences.
  • Madame Anne Tobé, Adjointe au Maire déléguée à la Culture et au Patrimoine de la ville de PASSY, pour son aide, et sa grande disponibilité.
  • A Madame Suzanne Stacher (enseignante à l’énsa-V) pour son suivi pédagogique.

Dates et définitions des sanatoriums

Quelques dates :
1865 : identification du bacille de Koch par le médecin du même nom
1869 : construction du premier sanatorium français, à Berck-sur-mer.
1880 : construction du premier sanatorium français pour le traitement de la tuberculose pulmonaire, à Villepinte.
1888 : premier congrès international de la tuberculose.
1919 (7 Septembre) : Loi Honnorat en France, qui prévoit la construction de sanatoriums spécialement destinés au traitement de la tuberculose, et cela pour chaque département, avec la participation financière de l’Etat (sanatoriums populaires). Certains pays, comme la Suisse, possèdent déjà des sanatoriums populaires. Pour exemple le ‘‘Basler Sanatorium’’ construit en 1896. Notons que la France est largement en retard par rapport à ses voisins (l’Allemagne, et la Suisse notamment).

-1- Modéle Germano Suisse Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard / -2- Modéle Pavillonaire Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

Deux grands types de constructions de sanatoriums existent :

  • Le modèle Germano-Suisse, qui se présente sous la forme d’un seul bâtiment imposant (pouvant ressembler à un grand hôtel). Au centre on retrouvera les services d’accueil et médicaux), le restaurant, la salle de cure ; et sur les côtés, deux ailes avec les chambres (une aile pour les femmes, une aile pour les hommes).
  • Le modèle américain, ou pavillonnaire, le programme est composé de plusieurs bâtiments séparés (un centre médical et de services, et plusieurs bâtiments de résidence comportant les chambres de malades avec balcon).
  • Le modèle moderne viendra plus tardivement. Ses tenants sont des architectes comme Pol Abraham, Alvar Aalto ou même André Lurçat, qui mettent l’accent sur l’individualisation de l’espace notamment, et appliquent les principes de l’architecture moderne à celle des sanatoriums.
-1- Sanatorium de Paimo — A.Aalto — The architectural drawings of Alvar Aalto, Ed. Schildt Göran. / -2- Projet de sanatorium de Durtol — André Lurçat autocritique d’un moderne, Jean-Louis Cohen, Ed. Liège

Pour le projet de Durtol le modernisme s’exprime à la fois dans la communication du projet (utilisation de l’axonométrie) ; au travers de l’architecture avec les fenêtres en bandeau, les toits terrasses ; et dans l’organisation du programme (le bâtiment se présente sous une forme édentée, le bâtiment principal avec les chambres sur lequel viennent se greffer au nord les ailes techniques et médicales).

Parallèlement à ces évolutions, apparaissent des bâtiments tels que les solariums. Ces installations pivotent afin d’utiliser les rayonnements de la lumière naturelle à des fins thérapeutiques. En France leur développement est principalement le fruit du travail d’un homme : le docteur Jean Saidman (premier solarium en 1932 à Aix-les-Bains).

PARTIE 1 : LES MYTHES (idéologies, rêves, discours)

Publicité, éditée en 1917, de la commission américaine de préservation contre la tuberculose en France. Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

La tuberculose est perçue comme une menace absolue (comparée sur cette affiche à ‘‘l’ennemi’’ allemand à une époque marquée par l’exacerbation des nationalismes).

Cette analogie entre maladie et ennemi est exacerbée dans l’exemple que constitue Villard-de-Lans qui cherche à se protéger du fléau en interdisant la ville aux tuberculeux.

(Article provenant du fond d’archives de la bibliothèque Kandinsky, Centre Pompidou, PARIS)

Le Matin, 24 Octobre 1932 :

La dictature de la santé : Comment Villard-de-Lans station climatérique pour enfants non tuberculeux se préserve contre le bacille de la tuberculose ? […] lutte engagée contre la tuberculose’’

Le titre évocateur pose le propos. La dictature de la santé, on ressent l’injonction de respecter des normes sanitaires strictes…

‘‘[…] son climat disposant cette station à recevoir une clientèle d’affaiblis, de convalescents, de déficients recrutés principalement chez les enfants […] conçut le projet d’éloigner tout tuberculeux de son territoire […]’’

Ici l’article précise les raisons de l’établissement d’une telle politique de ‘‘ségrégation sanitaire’’.

[…] fut créé en 1928 un comité consultatif d’hygiène […] le but du comité fut d’éloigner le tuberculeux de l’enfant. Pour cela il édicta un règlement d’hygiène sévère, approuvé par la municipalité […] et par la préfecture de l’Isère

Ce règlement stipule que nul ne peut séjourner à Villard-de-Lans s’il n’a pas :

  • rempli une fiche d’arrivée dans laquelle il s’engage à adhérer aux mesures d’hygiène de la station
  • soumis au visa du médecin contrôleur un certificat de non tuberculose et de non contagion

[…] de plus les hôteliers, logeurs, et même simples particuliers […] s’interdisant de recevoir toute personne démunie de certificat médical. Si il étaient surpris à enfrein- dre cette interdiction, la conduite d’eau desservant leur maison serait immédiatement coupée.

Monsieur Justin Godart, ministre de l’hygiène nous a dit tout le bien qu’il pensait du règlement de Villard-de-Lans.

[…] permet de garder toute une magnifique région saine de l’emprise de la tuberculose […] quant au règlement lui-même c’est la plus belle initiative connue dans la lutte entreprise contre ce fléau du genre humain : la tuberculose.’’ .

Les mesures prises sont drastiques, et surtout approuvées par les autorités.

Pose de la première pierre du Sanatorium pour les étudiants, au nom du Comité National de Défense contre la Tuberculose, par Monsieur HONNORAT, auteur de la Loi de 1919 sur les Sanatoriums.

Dans l’article suivant, le propos est totalement à l’opposé du précédent.

Il s’agit du discours militant d’un étudiant, qui en appelle à la solidarité entre les malades, et les anciens malades, afin de dé- montrer que la tuberculose n’est pas une fatalité, que la guérison est possible.

Et que dans la continuité de la production littéraire, et artistique de nombreux malades, le sanatorium est un lieu de vie.

APPEL AUX TUBERCULEUX BIEN PORTANTS

Peu apprennent sans honte leur maladie. Certains veulent laisser leurs proches dans l’ignorance (et des relations les recommandent au médecin-directeur huit jours après leur entrée au sana). D’autres se donnent le plaisir pervers de geler un salon en lançant négligemment : «lorsque j’étais en sanatorium», mais c’est après une partie de tennis ou une randonnée à bicyclette.

Car le préjugé reste tenace. Il y a les poitrinaires «grelottant de l’âme» et les très anciens malades. Personne n’ignore les phtisiques condamnés à vingt ans, qui le racontent après trente ou cinquante ans de surmenage. Le curé le plus connu de Paris l’écrit lors de son jubilé ; M. Sellier ministre de la santé publique le confie aux étudiants en 1937. Mais il semble qu’une baguette magique les a fait passer brusquement de la maladie à la santé sans laisser de traces.

De hautes autorités médicales ont combattu cette légende sans trop d’écho : elles parlaient pour leur saint.

Si nous la sapions à la base, non pas par des statistiques, ce troisième degré du mensonge, mais par des témoignages d’anciens du S.E. Un retour à une santé parfaite me semblait un rêve il y a huit ans. L’exemple de nombreux camarades m’a révélé qu’aujourd’hui l’espèce si peu connue dans le grand public du tuberculeux bien portant : qui s’est réadapté à l’activité après plusieurs années de ménagements, a maintenant une vie normale, parfois très active, mais n’oublie pas ses mois d’allongé : d’où un film par an, une analyse de crachats à l’occasion des bronchites, un passage à la scopie lors des séjours à Grenoble ou à Paris, une peur bleue à chaque grippe prolongée, et de ci de là quelques cures de silence ; en somme le fameux «stabilisé» dont on nous rabattait les oreilles.

Il est sous-préfet, avocat, directeur d’usine d’aviation, syndic dans la corporation paysanne, ou médecin directeur de sanatorium, the last but non the least. De la maladie, en plus des précautions sus-dites, il lui reste surtout quelques règles d’hygiène qui lui permettront de vivre plus longtemps en bonne humeur.

Pour introduire dans les mœurs honorables ce type courant d’anciens malades, Existences a un rôle irremplaçable. N’est elle pas l’organe indispensable de l’association des étudiants du S.E, établissement où, documentation unique, des cahiers d’anciens montrent les processus variés de la réadaptation au travail, et l’état des pensionnaires, un an, deux ans, cinq ans, dix ans après leur sortie, leurs réactions physiques et morales dans la lutte pour la vie.

En témoignage de leur vitalité, les «ancêtres» appelèrent leur revue Existences ; qui s’est transformée, grâce à Maurice Langlois, en revue. L’A.E.S. veut l’adapter aux perspectives actuelles et en faire une revue à grand tirage. Des écrivains de valeur lui ont apporté leur concours. La partie sociale serait-elle seule médiocre ?

Sa rédaction revient aux membres de l’association Guy Renard. Mieux que toutes les propagandes, les «Existences» des anciens seront la preuve de la réadaptation progressive des tuberculeux à une bonne santé ; et si beaucoup d’entre eux ont suffisamment d’expérience pour évoquer utilement maints problèmes sociaux, leurs professions les mettent de plus en rapport avec d’innombrables patrons. Ils doivent les inciter à prendre part à notre effort. Une avalanche d’articles sur les problèmes actuels de la jeunesse doit fondre sur le malheureux rédacteur en chef. Il vaut mieux que ce soit l’abondance plutôt que le vide qui lui donnera des insomnies. Nous n’oublions pas les réalisations fécondes des grandes associations de tuberculeux militaires et civils, mais leurs journaux étaient avant tout des organes d’entr’aide et de revendication. Les étudiants malades ont pensé que le tuberculeux ne vit pas seulement de calcium et de pneumothorax ; ils ont créé et maintenu une revue qui leur permettra de s’exprimer totalement. C’est l’originalité d’Existences, son charme qu’elle ne revendique pas

; elle ne se présente et ne peut être reçue qu’avec le fruit.

Juristes, ingénieurs, et paysans, admettez-vous que, seuls, littéraires et médecins savent écrire sur les problèmes de leur état et de leur culture. Mattéi mena jadis dans cette revue une enquête remarquable auprès des phtisiologues français pour la révision de l’article 51 de la loi du 30 Mars 1929 excluant les tuberculeux des fonctions publiques. Un autre et dur travail doit s’accomplir aujourd’hui par les anciens : ils viennent d’être regroupés et reçoivent Existences que dix ans d’efforts ont établi la seule revue publiée par des étudiants.

Dans dix ans grâce au concours de tous, elle doit avoir ébranlé les préjugés tuberculophobes, colosses aux pieds d’argile.

EXISTENCES Bulletin trimestriel — Juillet 1944 (Fondation France)

Le poème qui suit, a été rédigé par Maurice Langlois à Jean Cocteau, et fut publié à titre posthume en mémoire de son auteur décédé des suites de la tuberculose.

Il y met en scène l’image du miroir, présentant l’ordre du monde comme divisé entre les mains sales d’une part, et les saines de l’autre… Peut-être une mise en exergue de la tuberculose, et de la dualité de la société à l’époque, entre les malades (touchés par la peste blanche comme on l’appelle) et les sains.

Poème extrait de la revue Existences, n°34

L’ENVERS VAUT L’ENDROIT

L’ornière basse où la roue reste prise
Est faite de milliers de mains
Crispées, mutilées, inconnues.

L’ornière est faite d’un espoir
Si morne et si tenace
Que la roue qui tourne en silence
N’avance plus.

Toutes ces mains adorées des blessures
Ecrasées par le poids des jours

Toutes ces mains dans la boue horrible
Ont une force peu commune

Elles sont toute la force.
Retournez la roue, retournez l’ornière
De l’autre côté le sang brûle
Avec la flamme du premier jour

De l’autre côté les mains sont propres
De la nudité du désir
De la violence qui accuse.

Retournez l’endroit du monde
Où ne passe plus de roue

Retournez l’endroit de la vie
Pour redonner chance à l’homme
Et beauté à ses yeux.

Maurice Langlois (à Jean COCTEAU)

Du mythe de la Peste Blanche à la perspective d’un traitement :

Le Corbusier, dans le texte qui suit, fait un constat : celui de l’état des villes, de la vie dans les villes. Le mal logement apparait comme une des causes principales de l’installation des miasmes.

Le diagnostic étant posé (l’environnement malsain citadin, et le mal logement), vient ensuite la question du traitement …

Le sanatorium apparait donc comme l’ultime solution afin de sauver les peuples de l’emprise morbide de ‘‘la peste blanche’’

‘‘Nous sommes malheureux d’habiter dans des maisons indignes, parce qu’elles ruinent notre santé et notre moral. Nous sommes devenus des êtres sédentaires, c’est le sort ; la maison nous ronge dans notre immobilité, comme une phtisie. Il faudra bientôt trop de sanatoria […] Les ingénieurs construisent les outils de leur temps. Tout, sauf les maisons et les boudoirs pourris.’’

Propos de Le Corbusier repris dans Architecture et santé, J.B Cremnitzer, éd. Picard.

[…]Le sanatorium reste donc une nécessité et une méthode effective de traitement. Il faut donc les multiplier. Les sanatoriums convertissent les hommes qui mourraient

15 fois plus que la normale en hommes ne mourant que 3 à 10 fois autant… Point n’est besoins d’édifier tous les sanatoriums dans les stations climatiques réputées, tout en observant cependant une position favorable au point de vue de l’exposition, de l’ensoleillement, de la protection contre les vents et de l’absence d’humidité. Ces institutions étant surtout destinées à faire suivre une cure d’air et de repos, d’hygiène diététique, et à éduquer les malades sur les soins à prendre dans leur état, à part de rares exceptions près, il est possible d’aménager des sanatoriums dans presque tous les départements de France et certainement dans toutes les régions. Mais cela n’en- lève pas l’intérêt d’avoir un certain nombre de lits de sanatoriums en moyenne et en grande altitude, car la qualité de l’air, l’intensité et la durée d’insolation en hiver et l’effet tonique de l’altitude sont des avantages réels au point de vue de la cure.’’

Propos du docteur A. Bruno, directeur adjoint de la mission américaine. Architecture et santé, J.B Cremnitzer, éd. Picard.

-1- Le sanatorium de l’institut d’actinologie de Vallauris, côté Nord. Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe. / -2- Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

Institut héliothérapique , Devant ce temple magnifique voué au Dieu-Soleil, on ne peut s’abstenir d’admirer l’art prodigieux et la rapidité avec laquelle Monsieur Paul Souzy, architecte, fit jaillir du sol le vaisseau hôpital qui nous l’espérons, permettra à une quantité de malades de voguer plus rapidement vers la santé.

Propos du docteur Saidman, 10 Février 1935 lors de l’inauguration du sanatorium de Vallauris. Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

PARTIE 2 : LA PURETE (Hygiène, rituels, pureté de la forme)

Photo personnelle, lac Léman

La Montagne est un espace gigantesque qui renvoie l’image d’une trace du passé lointain et donc l’image d’une force des temps. L’air y est pur, la nature omniprésente et imposante. Pour le citadin, pour le médecin, la montagne représente l’environnement salvateur des malades de la tuberculose. Un espace qui est exposé au soleil et dont l’air est sec, deux ennemis du bacille…

Les deux poèmes qui suivent, productions faites par des étudiants soignés au sanatorium pour étudiants, retranscrivent la pureté de l’environnement des montagnes.

Poèmes extraits de la revue Existences, n°34 (Fondation Santé des étudiants de France)

MA JOIE (auteur inconnu)
Seul oh seul…
Prisonnier des seuls bruits purs du vent
Drapant les rocs,
Parmi la blancheur délicate
Jailli sur le sommet à l’heure où l’écarlate
Surprise nue par l’angélus, vêt un voile en rêvant,
Plus haut que le gel creux des lacs,
Sachant croupir,
Stérile
Un âcre monde aveuglément hostile,
Se recueillir farouche
Et soudain délébile
Se résoudre en or sombre et pur éther
Mourir

L’AIGLE (Claude Pascal, hommage à Maurice Langlois)
Calme roi.
Dans le silence cristallisé.
Qui ne daigne confier ton vol puissant posé
Qu’au roc !
Accepte-moi rival ô solitaire.
Hors d’atteinte j’irai dominer l’âpre terre,
Sur les lacs reflétant mon mépris paresser
Et le corps large ouvert, sphinx du gel bleu, glisser…

Gravure costumes ‘‘mode de style tyrolien’’ — fin XIXème, catalogue de boutique.

Dans la correspondance de Marina Chaliapine, avec Constantin Brancusi, la beauté de la montagne est sublimée, elle évoque le rêve. On trouve également des références au folklore local qui sont empreintes de l’utopie citadine (les plumes d’aigles des tyroliens).

Lettre du 6 Janvier 1934, hotel Post Saint Antom Am Arlberg. Tyrol. (Issu du fond Brancusi, biblio- thèque Kandinski, Centre George Pompidou PARIS)

‘‘la beauté des neiges pures, colorées, froides et adorables, et le rire des clochettes raisonnant dans la fraîcheur, et que j’ai des plumes d’aigles volantes dans mon haut chapeau tyrolien.’’

Lettre du 30 Mars 1934 — Kitzbühel Tyrol. (Issu du fond Brancusi, bibliothèque Kandinski, Centre George Pompidou PARIS)

‘‘[…] m’envolant pour ainsi dire fièrement dans les nuées. Si je devais te dire tout ce que j’approche de beau ici dans ce pays enchanté […] tu peux l’imaginer les belles solitudes qui m’entourent, les couchés de soleil, les levés de la lune sur les neiges des cimes, les oiseaux aux amples gorges qui me chantent des matinales aux matins, et enfin les plumes d’aigles qui volent toujours dans les chapeaux des paysans’’

Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

La montagne apparaît véritablement comme un espace salvateur, un lieu de bien-être pour le corps, et propice au traitement de la tuberculose.

L’image ci-contre illustre parfaitement le propos. Un chemin tortueux ‘‘route de la santé’’, qui s’apparente à un chemin de croix sillonnant, et menant jusqu’au sanatorium dans la montagne.

L’architecte Août 1929 (bibliothèque Kandinski, Centre George Pompidou PARIS)

[…] les rares emplacements privilégiés des alpes sont les suivants :

pureté de l’air, absence de fumées et de poussières (notamment en été) faible pression barométrique ;

sécheresse absolue de l’air ; notamment en hiver, par suite de la présence sur le sol, de Novembre à Avril, de plusieurs mètres de neige cristallisée. […] la sécheresse et la pureté de l’air favorisent le rayonnement et la réflexion de la lumière.

Nébulosité très réduite, absence quasi-totale de brouillard ;

Insolation abondante, très supérieure, non seulement à celle des climats de plaine, mais même, comme durée et continuité, à celle des climats méditerranéens. L’altitude favorise en outre […] l’insolation aux premières et aux dernières heures du jour ; protection des vents par les forêts et les massifs montagneux dans des endroits spéciale- ment choisis à cet effet ;

Journées fraîches en été et chaudes en hiver par suite de la réverbération de la neige […] riche en ultra-violets dont l’action bactéricide est particulièrement intense ;

Luminosité intense, limpidité du ciel, calme atmosphérique, réduction des besoins du corps humain en calories par suite de l’in-conductibilité de l’air.

[…] il semble (à propos des modèles européens et américains) que les deux conceptions soient susceptibles d’une juxtaposition harmonieuse […] premier village sanatorium français, Praz-Coûtant, à Passy, dans la haute Savoie (altitude 1 200 mètres) […] se compose :

1– d’un bâtiment principal contenant les services généraux et l’infirmerie.

2– de pavillons isolés de six à douze lits en chambres et cures individuelles pour les malades ambulants

[…] est destiné aux classes moyennes

[…] de Plaine-Joux Mont Blanc […] destiné aux classes riches […] sera composé de pavillons de cure destinés à des malades moins fortunés que ceux habitant le bâtiment principal, et de villas individuelles pour les familles désirant soigner un malade en de- hors du sanatorium […]

Chapelle du sanatorium de Guébriant reliée au bâtiment principal par une galerie, Plateau d’Assy, PASSY — Fond Pol Abraham

On peut voir ci-contre, un ensemble de photographies de la chapelle du sanatorium de Guébriant. Une galerie moins haute, permet la circulation directe pour y accéder depuis le bâtiment principal du sanatorium.

La chapelle, sorte de rencontre entre l’utopie naturelle (coupole avec une forme elliptique pouvant suggérer l’infini, la nature, l’utopie) et une forme en croix plus pragmatique (pouvant suggérer le rationalisme de la société industrielle, et celui de la médecine).

Cela représente aussi peut être une croix qui vient inciser la forme arrondie (Hyper paraboloïde), comme la rencontre entre le signe et la forme parfaite…

Notons par ailleurs, et nous le verrons plusieurs fois un peu plus loin, que la chapelle du sanatorium est un espace de travail particulièrement intéressant pour les architectes. C’est en effet un lieu de la projection de l’image, du récit, de croyance. La chapelle est un véritable objet de réflexion, de projections, dans son élaboration.

Salon au sanatorium Martel de Janville, Plateau d’Assy, PASSY — Fond Pol Abraham

Sur la photographie ci-contre, on peut voir un salon du sanatorium Martel de Janville (Plateau d’Assy).

La forme circulaire de la fenêtre suggère la nature qu’elle met en scène. L’intérieur du salon dans sa décoration, dans le design du mobilier, se caractérise par une atmosphère bourgeoise, citadine, et un confort certain.

On a véritablement l’impression que le salon de ville, d’appartement, vient prendre place à la montagne, profitant de la vue qu’offre le paysage.

Cette mise en scène, peut rappeler l’atmosphère d’un paquebot sur la mer; isolé de toute société, sans lien physique avec une réalité autre. Le sanatorium fonctionne comme un navire, en voyage perpétuel, sans plus aucune attache avec la “vie terrestre”. L’adieu et la mort deviennent les compagnons quotidiens du voyage.

L’image de pureté qui s’impose par le hublot vient suggérer une volonté utopique : le sanatorium comme paquebot de santé !

PARTIE 3 : L’UTOPIE ET LA TRANSFIGURATION

Michel Foucault. Des espaces autres (1967), Hétérotopies.
Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec 1’espace réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée. C’est la société elle-même perfectionnée ou c’est l’envers de a société, mais, de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement essentiellement irréels.

Le rapport à l’utopie se retrouve dans la représentation faite de la lumière et du lieu qui l’accueille. Ainsi on retrouve ce qui est de l’ordre de la transfiguration de l’utopie. La lumière venant baigner les terrasses et les chambres du sanatorium devient allégorique à celle baignant la galerie du Grand Palais.. Comme si l’édifice parisien était déplacé dans les cimes neigeuses. L’important travail, favorisant l’ensoleillement, au niveau de l’architecture du sanatorium, arbore une complexité de mise en œuvre et de conception, qui s’apparente à celle de la verrière du grand palais…

Le Centaure, 15 Juillet 1929 (bibliothèque Kandinski, Centre George Pompidou PARIS)
‘‘ Un dernier coup d’œil à l’étonnante maquette […]
Si vous n’éprouvez là une immense impression d’art, permettez moi de vous dire pour terminer, vous ne l’éprouverez jamais, c’est que vous êtes atteint de cécité artistique et fermé à toute émotion d’origine oculaire.
[…] et la grande terrasse supérieure, et la multitude de balcons semi-circulaires bien orientés, bien aérés ? Voyez-vous comment la lumière intérieure, pourtant falote du grand palais, s’y joue, s’y diffuse, s’harmonise. Que sera-ce sous le soleil avec un fond de montagnes et de cimes neigeuses.’’

Le rapport utopique qui est porté par les sanatoriums tient toutefois en une figure réelle, celle du bateau. La référence au paquebot est en effet récurrente pour les sanatoriums. En témoigne l’article du New York Harold :

The New York Harold, 11.September 1929 (bibliothèque Kandinski, Centre George Pompidou PARIS).
«Visitors to the Decoratif Arts Exhibit in Paris […] were stuck by the model of what at first looked like some curious sort of palace-ship.»
Traduction : ‘‘les visiteurs de l’exposition des arts décoratifs de Paris étaient comme absorbés par la curieuse maquette de ce qui semblait être un paquebot.’’

Michel Foucault définit les hétérothopies comme des espaces autres. Surtout ce sont des espaces réels, à la différences des utopies. La définition qu’il en porte est intéressante à deux niveaux :

  • Les hétérothopies sont définies selon six principes, et l’on voit que chacun d’eux renvoie facilement au Sanatorium. Cela permet de définir le sanatorium comme une hétérothopie.
  • Le bateau est présenté comme une hétérothopie parfaite. Le Sanatorium, souvent comparé à un navire, apparaît comme une hétérothopie qui se construit par mimétisme. Il est navire, il est donc une hétérothopie.

Michel Foucault. Des espaces autres (1967), Hétérotopies.
Michel Foucault, Dits et écrits 1984 , Des espaces autres (conférence au Cercle d’études ar- chitecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46–49.
M. Foucault n’autorisa la publication de ce texte écrit en Tunisie en 1967 qu’au printemps 1984.
[…] Mais ce qui m’intéresse, ce sont, parmi tous ces emplacements, certains d’entre qui ont la curieuse propriété d’être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu’ils suspendent, neutralisent ou inversent l’ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis. Ces espaces, en quelque sorte, qui sont en liaison avec tous les autres, qui contredisent pourtant tous les autres emplacements, sont de deux grands types.
Il y a d’abord les utopies.(cf précédemment)
[…] Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées […]
On pourrait supposer […] une sorte de description systématique qui aurait pour objet, dans une société donnée, l’étude, l’analyse, la description, la « lecture « , comme on aime à dire mainte- nant, de ces espaces différents, ces autres lieux, une espèce de contestation à la fois mythique et réelle de l’espace où nous vivons; cette description pourrait s’appeler l’hétérotopologie.
Premier principe, […] les hétérotopies prennent évidemment des formes qui sont très variées, et peut-être ne trouverait-on pas une seule forme d’hétérotopie qui soit absolument universelle. On peut cependant les classer en deux grands types.
Dans les sociétés dites « primitives « , il y a une certaine forme d’hétérotopies que j’appellerais hétérotopies de crise, c’est-à-dire qu’il y a des lieux privilégiés, ou sacrés, ou interdits, réservés aux individus qui se trouvent, par rapport à la société, et au milieu humain à l’intérieur duquel ils vivent, en état de crise. Les adolescents, les femmes à l’époque des règles, les femmes en couches, les vieillards, etc.[…]
Mais ces hétérotopies de crise disparaissent aujourd’hui et sont remplacées, je crois, par des hétérotopies qu’on pourrait appeler de déviation : celle dans laquelle on place les individus dont le comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la norme exigée. […]
Le deuxième principe de cette description des hétérotopies, c’est que, au cours de son histoire, une société peut faire fonctionner d’une façon très différente une hétérotopie qui existe et qui n’a pas cessé d’exister ; en effet, chaque hétérotopie a un fonctionnement précis et déterminé à l’intérieur de la société, et la même hétérotopie peut, selon la synchronie de la culture dans laquelle elle se trouve, avoir un fonctionnement ou un autre.[…]
Troisième principe. L’hétérotopie a le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel plusieurs espaces, plusieurs emplacements qui sont en eux-mêmes incompatibles. […]
Quatrième principe. Les hétérotopies sont liées, le plus souvent, à des découpages du temps, c’est-à-dire qu’elles ouvrent sur ce qu’on pourrait appeler, par pure symétrie, des hétérochronies ; l’hétérotopie se met à fonctionner à plein lorsque les hommes se trouvent dans une sorte de rupture absolue avec leur temps traditionnel […]
Cinquième principe. Les hétérotopies supposent toujours un système d’ouverture et de fermeture qui, à la fois, les isole et les rend pénétrables. En général, on n’accède pas à un emplacement hétérotopique comme dans un moulin. Ou bien on y est contraint, c’est le cas de la caserne, le cas de la prison, ou bien il faut se soumettre à des rites et à des purifications. On ne peut y entrer qu’avec une certaine permission et une fois qu’on a accompli un certain nombre de gestes […]
Sixième principe. Le dernier trait des hétérotopies, c’est qu’elles ont, par rapport à l’espace restant, une fonction. Celle-ci se déploie entre deux pôles extrêmes. […] le bateau, c’est un morceau flottant d’espace, un lieu sans lieu, qui vit par lui-même, qui- est fermé sur soi et qui est livré en même temps à l’infini […], vous comprenez pourquoi le bateau a été pour notre civilisation, […] la plus grande réserve d’imagination. Le navire, c’est l’hétérotopie par ex- cellence. Dans les civilisations sans bateaux les rêves se tarissent, l’espionnage y remplace l’aventure, et la police, les corsaires.

Comme nous le disions précédemment, il est possible de rapprocher les éléments mis en exergue par l’hétérothopologie de Foucault, avec le modèle des sanatoriums.

1.L’hétérothopie de déviation tout d’abord, qui se caractérise par le placement des individus déviant par rapport aux autres. Dans le cas des sanatoriums c’est une population malade, qu’il convient d’isoler de la population bien portante.

2.L’hétérothopie peut évoluer dans sa forme. Les sanatoriums ont, au fur et à mesure de l’histoire, vu changer leur rôle. Ils ont été jusque dans les années 50 des lieux de soin de la tuberculose (ou de mort). Ils sont ensuite devenus des unités hospitalières affectées à des spécialités diverses (gériatrie, psychiatrie, cancérologie…). Maintenant ils deviennent des bâtiments reconvertis en habitats collectifs, en lieux de villégiature, hôtels…

3.Les sanatoriums sont des ‘‘lieux de juxtaposition en un seul lieu réel de plusieurs espaces’.’ On peut en effet y trouver des espaces de soin, de loisirs ou de détente (théâtre, bibliothèque), de culte (chapelle)…

4.Les sanatoriums ouvrent également vers une hétérochronie. C’est ce que nous avons précédemment vus dans les rites. Avec une temporalité autre, particulière au lieu, et liée au traitement. Il y a aussi la temporalité relative à la maladie (rechutes, guérison, rémissions, mort…)

5.L‘entrée dans le lieu se fait sous condition, ou sous la contrainte. En effet la personne malade est incitée à se faire traiter dans un sanatorium, le fait de rester en ville, ou au milieu de personnes saines fait courir un risque de contagion. C’est l’ordonnance médicale, et la maladie qui donnent l’injonction.

6.Le sanatorium crée une utopie de compensation. Dans son architecture, parce qu’il cherche une organisation spatiale parfaite pour le soin. Dans sa temporalité, parce que les rites, qui régissent la vie en son sein, cherchent à fournir un équilibre de vie promoteur de bien être, et permettant de recouvrir la santé.

Finalement, Michel Foucault avance que l’hétérothopie parfaite est matérialisée par le paquebot, le bateau. Et dans son architecture, le sanatorium flottant dans l’infiniment blanc, a été imaginé par les architectes comme un vaisseau voguant sur la longue route vers la guérison (ou la mort)…

Les photos qui suivent s’attachent à associer des vues du sanatorium Martel de Janville (http://explo- photographiste.centerblog.net) mises en relation avec d’anciennes photographies (notamment du paquebot Normandie pour certaines).

PARTIE 4 : LES CLASSES SOCIALES (statuts et habitudes)

Comme au sein du paquebot, dans la société du début du 19ème, les sanatoriums sont les témoins d’une hiérarchie sociale affirmée.

Sanatorium de Peter Dettweiler à Falkenstein (Allemagne)

Les sanatoriums ont été réservés en général pour les classes fortunées. Toutefois, la propagation de la ‘‘peste blanche’’ devenant de plus en plus préoccupante (notamment dans les quartiers populaires), les états prennent petit à petit en charge la construction de sanatoriums destinés à soigner tous les malades.

Le premier sanatorium gratuit fut construit en 1892 en Allemagne par Peter Dettweiler (ancien patient de Hermann Brehmer qui initia le traitement de la tuberculose). Il était le premier sanatorium pour les couches sociales défavorisées et devenait ainsi un modèle international. En 1896 fut construit le ‘‘Basler Sanatorium’’ à Davos par le Dr. Adolf Hägler-Gutzwiller. Le premier sanatorium populaire français fut construit en 1900 à Agincourt . (Histoire de la médecine, B.Halioua, Ed. Masson)

D’après la correspondance de Marina Chaliapine, qu’elle entretient avec son ami le sculpteur Brancusi, on peut voir qu’elle est issue d’un milieu plutôt aisé : son père possède des galeries d’art à New-York. La jeune femme voyage beaucoup, entre les États-Unis, Paris, le Tyrol, la Suisse, l’Inde ; de même que sa famille, qu’elle retrouve lors d’étapes communes. (Fond Brancusi, Bibliothèque Kandinsky, Centre George Pom- pidou PARIS).

Salle d’attente du Solarium. Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe

Pour le solarium il s’agit d’une clientèle issue de la classe aisée ‘‘une photographie d’époque conservée dans les archives familiales représente quelques patients type : ‘‘sept femmes d’âge mûr (entre 40 et 60 ans) sont assises tandis qu’un homme d’une trentaine d’années se tient debout son chapeau entre les mains. Même s’il semble difficile de généraliser, la fréquentation semble majoritairement féminine, et la plupart des patientes sont issues des classes aisée. Les tarifs pour une séance équivalent à un montant de 100 €.

[…] vêtues de robes élégantes, portant gants, chapeaux, et colliers de perle
[…] 100 francs la séance d’irradiation avec filtres et concentrateurs (75francs à partir de 16heures), 50francs sans le recours au concentrateur, 25francs pour les sujets non malades qui souhaitent simplement prendre un bain de soleil. A titre indicatif un kilo de pain coûtait 2,5francs à la même époque
Les solariums tournants du docteur Jean Saidman, Thierry Lefebvre & Cécile Raymal, éd. Glyphe)

Plan de la zone d’accueil, projet de Plaine Joux. Fond Pol Abraham — Bibliothèque Kandinsky, Centre Georges Pompidou.

Dans certains projets (Plaine Joux) sont incorporés des galeries commerçantes avec des boutiques de luxe, laissant deviner l’accueil d’une population aisée, mondaine également (grand salon, salon des dames, salle de bibliothèque, de billard…). Il y a également la présence d’une cabine pour les retraits de devises, ainsi que des portiers.

Le projet de Plaine Joux était toutefois destiné à accueillir différentes classes sociales. Le bâtiment principal était destiné aux classes aisées et comportait des chambres avec balcons et même des suites au rez-de-chaussée. Des pavillons indépendants étaient destinés à accueillir des malades de condition plus modeste.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser avec le “rêve” d’accession au pavillonnaire actuellement), le pavillon n’était pas réservé aux classes aisées. En effet, être soigné dans les pavillons, signifiait devoir sortir pour accéder aux structures de soins (infirmerie, cabinet des médecins…). Les chambres et les suites qui plus est, permettaient d’accéder directement aux espaces de détentes, et aux boutiques.

PARTIE 5 : LES RITES (Occupations, ordre du jour, alimentation)

Consultation du docteur à l’hospice du Logelbach (vers 1885) — Dessin de E. Ronjat, d’après une photographie (collection Gérard Zehler).

Les rituels quotidiens dans un sanatorium étaient extrêmement rigides. Tous les malades devaient se plier à l’ordre du jour, établit par le médecin en chef. Ces ordres du jour étaient semblables d’un établissement à l’autre. Ainsi Thomas Mann décrit il cette routine :

La routine quotidienne dans le sanatorium « Waldsanatorium » :
•Réveil à 7 heures : Première prise de température (cinq à six fois par jour), toilettes.
•Visite du sauveteur: Le patient est frottée avec de l’alcool.
•8 heures : Premier petit déjeuner avec pain, beurre, confiture, miel, lait, riz, avoine, œufs brouillés, charcuterie, fromage, fruits, thé, café, cacao.
•la visite du médecin, le docteur Behrens.
•marche (appelé «marche de service»), s’il n’est pas prescrite du repos absolu au lit.
•Cure de repos matinale sur le balcon, enveloppé dans de couvertures (fourrés), en lisant, dormant.
•11 heures: deuxième petit déjeuner avec une pinte de lait, charcuterie, pain grillé, beurre, farine d’avoine, de fruits
•Deuxième marche.
•cure de repos: «Chez nous la vie est horizontale » (p. 314).
•13 heures : Lunch Six: soupe, poisson, viande et légumes, la volaille, viennoiseries, fromages et fruits
•de 14 heures: cure de repos principale avec «deux heures vides et en toute sécurité tranquilles» (p. 146).
•Visite du médecin assistant, le Dr Krokowski.
•16 heures: tee d’après-midi, avec du lait, café, chocolat, bouillon de viande, le yaourt, les raisins secs, gâteaux et confitures.
•marche.
•18 d’horloge: cure de repos sur le balcon.
•19 heures: dîner, comme la soupe d’asperges, tomates farcies, rôti avec de nombreux ingrédients, des gâteaux, du fromage et assiette de fruits Par la suite, la sociabilité dans le salon.
•20–22 horloge: cure de repos sur le balcon.
•Dernière prise de température.
•Dormir.

Au travers de deux lettres des correspondances de Brancusi, on devine une routine perpétuelle caractérisant la cure… Une cure de repos absolu et d’exposition au soleil.

Correspondance de Sandica Kessel avec Constantin Brancusi issue du Fond Brancusi, bibliothèque Kandinsky, Centre George Pompidou.
Non daté (avant la seconde guerre mondiale)
Sanatorium de Leysin au Mont Blanc.

‘‘Tout est blanc et pure, le ciel d’un bleu chinois […] On me garde prisonnière sur une terrasse plein de soleil mais comme je préfèrerai le ciel gris, et la boue de Paris. Depuis que je suis arrivée ici on m’a défendu de sortir, mes seules promenades sont de mon lit à la chaise longue de la terrasse’’

Correspondance de Marina Chaliapine avec Constantin Brancusi issue du Fond Brancusi, bibliothèque Kandinsky, Centre George Pompidou.
17 Janvier 1934 — Waldsanatorium Davos

‘‘Maintenant le docteur ne veut pas me laisser partir avant Avril ! […] tu as eu mille fois raison en disant qu’ici on attrape la maladie de la mort ! C’est horrible d’attraper les manies de cet endroit […] Dieu ce que je déteste la solitude telle que Davos me l’a apprise.’’

La revue EXISTENCES, est une revue publiée au sanatorium de Saint Hilaire du Touvet, par les étudiants à chaque trimestre.

Elle se compose en général d’un préambule résumant les activités s’étant déroulées au sanatorium durant le trimestre précédent, d’articles traitant des actualités, d’une chronique (de poème, nouvelles, disques), d’une revue des thèses de médecine, et d’un carnet (avec des écrits illustrant la vie au sanatorium).

Le texte, ci-après, correspond au préambule du bulletin de Janvier 1941. Il illustre parfaitement l’activité culturelle importante qui anime le sanatorium. On y voit notamment l’organisation de concerts, des projections de films, l’organisation d’expositions. On peut y voir également les liens étroits entretenus entre les étudiants hospitalisés et leurs camarades (Grenoble ici). L’ensemble laisse paraître une véritable richesse culturelle, un dynamisme créatif, et les nombreuses initiatives prises. Dans les différents bulletins on retrouve ces même caractéristiques. Cela nous conduit donc à envisager une sorte de ritualisation (soulignée ici par les fêtes catholiques donnant lieu à des animations) qui est engendrée par l’initiative de promotion culturelle.

EXISTENCES Bulletin trimestriel — Janvier 1941 (Fondation Santé des étudiants de France)

Fêtes

De Noël à Pâques, il n’y en eut pas. A Pâques l’association fit bien les choses, afin de compenser ce long retard. La fête fut musicale et théâtrale. TULOU ouvrit la séance en jouant des œuvres de CHOPIN et de SCHUMANN. Puis dans les décors de LECERCLE furent joués :
«Antoinette ou le retour du mari», de TRISTAN BERNARD, et «illusion» de COURTELINE, remarquablement interprétés par nos artistes amateurs. RIDOUX terminait la première partie en jouant DEBUSSY, du DE FALLA et du GERSHWIN.
La seconde partie comprenait deux pièces : «nuit d’alerte» de Max REGNIER, tout à fait d’actualité et pleine d’humour, «RONCEVEAUX» du même auteur. Le tout fut très réussi et applaudi.

Le 25 Avril, l’A.G de Grenoble arrivait, dans un car bondé d’étudiants et de valises. Nos camarades n’avaient oublié ni les costumes les plus somptueux, ni les accessoires les plus variés, et leur fête fut une pleine réussite.

La revue d’Henri MAGNAN, avait pour titre «revu et censuré» et comportait de nombreux sketches très actuels, interprétés par de charmantes étudiantes et leurs camarades. David GOLDENBERG joua du CHOPIN et du RAVEL, et les changements de décor étaient égayés par les exécutions d’un jazz remarquable. Nous avons été très heureux de ce geste amical de nos camarades de Grenoble, et nous espérons qu’après l’interruption due aux évènements, nos relations vont reprendre plus cordiales que jamais.

Une autre visite dont nous nous souvenons avec plaisir est celle que firent messieurs Ennemond TRILLAT et DESCOURS. Ce fut un régal pour la vue et pour l’ouïe. M. TRILLAT, directeur du conservatoire de Lyon, jouait une œuvre au piano (CHOPIN, PIN, LISZT, BEETHOVEN, RAVEL), M. DESCOURS projetait un film en couleurs, et ainsi de suite le talent de M. TRILLAT était connu depuis longtemps au sana. Les films de M. DESCOURS furent la révélation de quelque chose de parfait, tant dans le choix des sujets : l’Alpe aux différentes saisons, les reflets dans l’eau, que dans les couleurs magnifiques.

A la Pentecôte eut lieu le vernissage du salon de printemps. Emulation parmi les artistes. Et, le jour venu, la salle des fêtes prend un aspect de musée. Des toiles tendues devant les fenêtres supportent les tableaux ; sur les guéridons des sculptures, divers objets d’art. Aux murs les photographies. Les bruits sont assourdis, on ose pas parler fort dans cette ambiance d’exposition. M. le docteur COHEN inaugure, accompagné du délégué aux fêtes et des autres membres du bureau. Il s’arrête devant sa propre image, habilement reproduite en pâte à modeler, et un photographe fixe sur la même plaque le modèle et l’oeuvre de l’artiste. Tous les exposants de ce salon sont à féliciter : PHILIPPE, LECLERC, GUYOU, ANDRE, LEQUEU, ANSELME, et parmi les photographes, CORDONNIER mérite une mention particu- lièrement honorable.

PARTIE 6 : LE VOYAGE

Considérer le sanatorium comme un paquebot et donc comme une hétérothopie parfaite amène à questionner la notion de “voyage” qui lui est intrinsèque.

Claude Ceste décrit le rapport au voyage de Barthes en considérant l’aspect humaniste du voyage (en quoi il modèle l’homme), et s’appuie sur le texte de Barthes «En Grèce» paru dans la revue Existences de Juillet 1944. Son propos est le suivant :

Roland Barthes moraliste, Claude Ceste (pages 28, 29, 30)

La figure du touriste, présente dès les premiers textes (en un style fragmentaire et gibien), incarne les diverses formes du désir d’irresponsabilité. Le bon touriste selon Stendhal offre de nombreux points communs avec Barthes. Stendhal écrit un ouvrage touristique et se moque en même temps du tourisme :

Le touriste (anglais) impose toute sa personne au paysage ; le voyageur (sten- dahlien) vise essentiellement à être un habitant ; le pays où il pénètre n’est pas un objet, même curieux, même sympathique ; c’est un monde, dont il convient de devenir citoyen, sans perdre cependant la liberté du regard : concilier les privilèges de l’étranger et ceux de l’indigène, qui n’a jamais fait ce rêve ? Être à la fois celui qui voit et s’adonne, garder une conscience légère pour mieux se sentir investi, se fondre, mais jamais au point d’en perdre la conscience, telle est la gageure du voyageur stendahlien»

[…] Dans son article Aziyadé de Pierre Loti, Barthes distingue plusieurs types d’intégration au pays visité ‘‘le voyage, le séjour et la naturalisation’’. Dans le voyage le touriste bénéficie d’une ‘‘irresponsabilité éthique’’ qui s’oppose à la responsabilité civile du citoyen ; véritable figure du neutre, la situation ambigüe du résident ‘‘touriste’’ qui répète son envie de rester.»

Il y a donc une notion d’intégration qui permet de différencier le touriste, observateur d’un objet curieux, et le voyageur, observateur qui participe et qui est assimilé. On retrouve cette ‘‘naturalisation’’ avec certains patients, qui une fois guéris, décident de s’installer à proximité, ouvrant souvent des commerces et devenant donc résidents.

Nous avons considéré précédemment le sanatorium comme un paquebot, avec un détail de finition des espaces intérieurs, un confort, un investissement certain des architectes, afin de construire un bijou architectural.

Dans «Nautilus et bateau ivre» des «Mythologies», Barthes aborde ce mythe du bateau. Il prend pour base de sa réflexion l’œuvre de Jules Verne. Pour lui :

Verne a construit une sorte de cosmogonie fermée sur elle-même, qui a ses catégories propres, son temps, son espace, sa plénitude, et même son principe existentiel.

On pourrait voir une analogie entre le sanatorium et cet univers ‘‘Vernien’’. Un bâtiment venu poser des limites dans l’immensité des montagnes alpines, se posant en OVNI, avec ses règles propres (nécessités de la cure).

Barthes souligne en fait, que chez Verne, le voyage est l’occasion de construire un espace dont les limites sont connues, et l’aventure est suggérée par la confrontation avec l’infini :

pantouffles, pipe au coin du feu, pendant que dehors la tempête, c’est à dire l’infini, fait rage inutilement […] le bateau peut bien être symbole de départ ; il est plus profondément, chiffre de la clôture. Le goût du navire est toujours joie de s’enfermer parfaitement […] le navire est un fait d’habitat avant d’être un moyen de transport […] au coin du feu.

Le sanatorium que l’on a considéré comme un navire (parce que son architecture, son fonctionnement le laissent penser) serait un “fait d’habitat” et non un moyen de transport. Pourtant on peut véritablement associer au sanatorium sa capacité à générer le voyage. Aux vues de la grande richesse des productions faites (dans le sanatorium étudiant notamment, dans la revue Existences), des aspirations culturelles qui en émanent, on peut avancer que le corps, contraint à l’immobilité, cherche à se mouvoir par l’esprit. La pensée sublime donc cette immobilité, en permettant l’échappée.
Barthes, par exemple, qui a été pensionnaire au sanatorium étudiant de Saint Hilaire du Touvet, a publié dans sa revue Existences. Cela a surement était un moyen de se libérer de l’immobilité du corps imposée par la cure. Ce passage a surement aussi énormément influencé sa perception des choses. Ainsi, Philippe Solers écrit

Le Monde, 14 Février 1975
Barthes a un langage : il voit la maladie. Son entrée dans la littérature a été médicale. Hystéries, cancers, mythologies. Barthes a inventé l’analyse en acte du symptôme littéraire. Quelque chose comme la pénicilline par rapport à la prolifération microbienne du discours. Beaucoup s’en sont sentis stérilisés. Tant mieux.

Cette considération du voyage permis par la sublimation du corps par l’esprit peut être mise en parallèle avec les notions de territorialisation et déterritorialisation développées par Deleuze.

Deleuze, Guattari, Qu’est-ce que la philosophie, 1991, p. 66

Déjà chez les animaux nous savons l’importance de ces activités qui consistent à former des territoires, à les abandonner ou à en sortir, et même à refaire territoire sur quelque chose d’une autre nature (l’éthologue dit que le partenaire ou l’ami d’un animal « vaut un chez-soi », ou que la famille est un « territoire mobile »). A plus forte raison pour l’hominien : dès son acte de naissance, il déterritorialise sa patte antérieure, il l’arrache à la terre pour en faire une main, et la reterritorialise sur des branches ou des outils. Un bâton à son tour est une branche déterritorialisée. Il faut voir comme chacun, à tout âge, dans les plus petites choses comme dans les pus grandes épreuves, se cherche un territoire, supporte ou mène des déterritorialisations sur n’importe quoi, souvenir, fétiche ou rêve »
[…] On ne peut même pas dire ce qui est premier, et tout territoire suppose peut- être une déterritorialisation préalable; ou bien tout est en même temps.»

Le poète Paul Eluard séjourna à l’âge de 17ans au sanatorium de Clavadel en Suisse pour y être soigné. Durant cette période il écrivit ses premiers poèmes. Mis ensembles, les poèmes écrits au sanatorium permettent de traduire ce phénomène de territorialisation déterritorialisation.

Dans le texte de Deleuze on voit le côté cyclique du phénomène de territorialisation-déterritorialisation. La patte avant de l’hominien se déterritorialise du sol, et est reterritorialisée sur une branche (la préhension en fait une main).

Chez Eluard, son corps quitte la ville pour rejoindre le sanatorium dans les Alpes. Il passe d’un corps citadin, déterritorialisé, à un corps de malade en soin.
Le corps ensuite est privé de toute activité avec la cure de repos. Les premiers écrits d’Eluard traduisent un voyage du sanatorium vers la ville. Le corps, grâce à l’esprit, se reterritorialise dans la ville, magnifiée par la nostalgie du poète.
Avec le temps, et surement la contemplation lors des cures en balcon, Paul Eluard se déterritorialise de nouveau, pour se placer dans les alpes, magnifiées par sa poésie.
Finalement le dernier voyage fait est celui des Alpes vers le sanatorium. Là c’est la peur de la mort, et l’inactivité du corps qui sont sublimés par la poésie et la portée cathartique que lui donne Eluard.

Poèmes extraits du receuil Premiers poèmes, Editions MERMOD, Paul Eluard Déterritorialisation des Alpes vers la ville, et nostalgie.

SOURDINE
Comme il fait moins froid ce soir ! Et comme les étoiles brillent !
Il fera beau demain matin Dessus l’avenue de Versailles.
Il fera beau…
(Et l’air se perd comme une bille.)
Quand il fait beau, c’est agréable De s’en aller de si matin,
Quand on sait que midi viendra Avec la fin d’un long travail…
(Et l’air se perd comme une bille.)
Le long de l’avenue c’est vrai — J’ai l’illusion de la campagne.
Il y a de si belles villas. C’est vrai, j’aime tout cela !
(Et l’air est mort, l’air est perdu.)

SANS TITRE
La petite chérie arrive à Paris.
Paris fait du bruit. Paris fait du bruit.
La petite chérie traverse la rue.
Le bruit tombe en pluie. Le bruit tombe en pluie.
La petite chérie est sur le trottoir
Où de gros messieurs cossus et tout noirs
Empêchent son coeur de faire trop de bruit.

Reterritorialisation dans les Alpes, la nature est magnifiée par la poésie :

UN SEUL ÊTRE
-I-
A fait fondre la neige pure,
A fait naître des fleurs dans l’herbe
Et le soleil est délivré.
Ô fille des saisons variées,
Tes pieds m’attachent à la terre
Et je l’aime toute l’année.
Notre amour rit de ce printemps
Comme de toute sa beauté,
Comme de toute sa bonté.
-II-
Flûte et violon,
Le rythme d’une chanson claire
Enlève nos deux cœurs pareils
Et les mouettes de la mer.
Oublie nos gestes séparés,
Le rire des sons s’éparpille,
Notre rêve est réalisé.
Nous possèderons l’horizon,
La bonne terre qui nous porte
Et l’espace frais et profond,
Flûte et violon.
-III-
Que te dire encore, amie ?
Le matin, dans le jardin,
Le rossignol avale la fraîcheur,
Le jour s’installe en nous
Et nous va jusqu’au cœur.
Le jour s’installe en nous.
Et tous les matins, cherchant le soleil
L’oiseau s’engourdit sur les branches fines.
Et fuyant le travail, nous allons au soleil
Avec des yeux contents et des membres légers.
Tu connais le retour, amie,
C’est entre nous que l’oiseau chante,
Le ciel s’orne de son vol,
Le ciel devenu sombre
Et la verdure sombre.
-IV-
La mer toute entière rayonne,
La mer tout entière abandonne
La terre et son obscur fardeau.
Rêve d’un monde disparu
Dont tu conserves la vertu
Ou rêve plutôt
Que tu m’as gardé sur les flots
Que la lumière… Et sous le soleil
Le vent qui s’en va de la terre immense.

Déterritorialisation de la nature, vers le sanatorium. On sent ici la confrontation à la maladie, la poésie a une vertu cathartique. Elle permet au poète d’expulser ses craintes, ses sombres pensées, par la plume.

MON DERNIER POEME
J’ai peint des terres désolées
et les hommes sont fatigués
de la joie toujours éloignée.
J’ai peint des terres désolées
où les hommes ont leurs palais.

J’ai peint des cieux toujours pareils,
la mer qui a tous les bateaux,
la neige, le vent et la pluie.
J’ai peint des cieux toujours pareils
Où les hommes ont leurs palais.

J’ai usé les jours et les jours
de mon travail, de mon repos.
Je n’ai rien troublé. Bienheureux,
ne demandez rien et j’irai
frapper à la porte du feu.

POUR VIVRE ICI
Ton rire est comme un tourbillon de feuilles mortes
Froissant l’air chaud, l’enveloppant, quand vient la pluie.

Amer, tu annules toute tragédie,
Et ton souci d’être un homme, ton rire l’emporte.

Je voudrais t’enfermer avec ta vieille peine
Abandonnée, qui te tient si bien quitte,

Entre les murs nombreux, entre les ciels nombreux
De ma tristesse et de notre raison.

Là, tu retrouverais tant d’autres hommes,
Tant d’autres vies et tant d’espoirs
Que tu serais forcé de voir
Et de te souvenir que tu as su mentir…

Ton rire est comme un tourbillon de feuilles mortes.

Le vent passe en les branches mortes
Comme ma pensée en les livres,
Et je suis là, sans voix, sans rien,
Et ma chambre s’emplit de ma fenêtre ouverte.

En promenades, en repos, en regards
Pour de l’ombre ou de la lumière
Ma vie s’en va, avec celle des autres.

Le soir vient, sans voix, sans rien.
Je reste là, me cherchant un désir, un plaisir ;
Et, vain, je n’ai qu’à m’étonner d’avoir eu à subir
Ma douleur, comme un peu de soleil dans l’eau froide.

Dans le premier poème, on peut ressentir une sorte de pessimisme. Peu être une période de rechute de la maladie. L’emploi du passé composé donne l’impression que le poète fait le bilan de son existence, écartant toute perspective à venir.

Dans le second poème on ressent pleinement l’échappée que permet la poésie, la vertu cathartique de l’écriture. On y voit des références au quotidien, au sanatorium : ‘‘en repos, en regards / Pour de l’ombre ou pour de la lumière’’.

Le voyage est dès l’arrivée dans le sanatorium une histoire de mouvance de l’esprit face à l’immobilité du corps. La représentation du corps et le traitement qui passe par l’intervention sur le corps sont des notions importantes dans la conception de l’architecture.

PARTIE 6 : LE CORPS (Le corps passif, le corps utopique, degré de vitalité, la mort…)

Publicité vantant les bienfaits des rayons ultraviolets. Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

Il existe en fait deux grands types de tuberculose. Ils se différencient par la zone d’at- teinte de l’organisme infecté.

La tuberculose pulmonaire se caractérise par une atteinte des poumons et est souvent sans symptômes pendant l’incubation de un à trois mois). Elle est extrêmement contagieuse à cause des expectorations abondantes contenant le bacille de Koch. La tuberculose extra-pulmonaire, dont la plus fréquente est la forme osseuse, se caractérise par des atteintes ostéolytiques (destruction des os / ostéolyse importante) au niveau du rachis (colonne vertébrale) notamment. Pour la forme osseuse, qui est la plus répandue, la cure soleil (et donc l’héliothérapie) est recommandée.

Architecture et santé, J-B Cremnitzer, ed. Picard
Le soleil dispense la santé, la chaleur et la force

La découverte du bacille de Koch se fait parallèlement à de nombreuses autres découvertes médicales telles que les rayons X par exemple. On découvre les vertus thérapeutiques des rayons ultraviolets qui permettent la synthèse de vitamines intervenant dans le métabolisme.

Séance d’UV collective en 1934. Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

Une fois de plus l’accent est donc porté sur le soleil, l’ensoleillement, et son action thérapeutique et bienfaisante.

Des lumières produisant artificiellement des rayons ultraviolets sont utilisées (cf : image de séance collective d’UV). C’est d’ailleurs la lumière qu’utilise le docteur Saidman. Il augmente la concentration en UV du flux lumineux, ou utilise les infra-rouges, avec des mécanismes qu’il a breveté (cf. images de séance d’héliothérapie).

-1- Séances d’héliothérapie au solarium d’Aix les Bains. Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefeb- vre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe. -2- Dortoir et galerie de cure, sanatorium Roc-des-Fiz PASSY. Fond Paul Abraham.

Architecture et santé, J-B Cremnitzer, Ed. Picard
L’insolation est le plus puissant et le plus sur moyen bactéricide connu. Le bacille de Koch est réduit immanquablement en 2 heures au maximum par la lumière solaire directe. Les rayons solaires doivent tous pouvoir pénétrer le plus abondamment possible dans tous les locaux où vivent les tuberculeux.

Le soleil n’est pas seulement un bienfaiteur pour le corps. Il assainit également l’espace. Cela se voit notamment au travers de l’architecture des dortoirs ou coursives de sanatoriums, où les corps sont allongés et exposés à la lumière naturelle.

Au delà d’être un lieu salvateur, de soin, de traitement ; le sanatorium est aussi un lieu de mort, d’agonie. Le champ lexical de la correspondance ci-dessous fait allusion à la mort, à l’au-delà. On peut noter aussi une sorte de contraste entre la vitalité utopique suggérée par la montagne, ce qu’elle représente dans l’esprit des citadins, et la vie au sanatorium entre cure de soleil et repos absolu…

Au travers des mythes, le sanatorium est présenté comme un lieu salvateur, pour le citadin, pour le corps du malade… Les rites nous montrent un autre point de vue : celui d’un quotidien monotone, soumis à des règles strictes, et un repos absolu pesant…
Finalement, la mise en scène de la mort vient pousser au paroxysme la vision austère de ces bâtiments : des lieux isolés de tout, où la mort est quasi omniprésente. La vie semble y être comme le début d’un long repos…
Notons que l’essentiel des films utilisant comme cadre un sanatorium sont des films d’horreur, qui aiment exploiter à la fois le cadre (l’isolement) et l’histoire (maladie, agonie, mort) de ces établissements…

Correspondance de Marina Chaliapine avec Constantin Brancusi issue du fond Brancusi, bibliothèque Kandinski, Centre George Pompidou PARIS
23 Septembre 1934 — Waldsanatorium Davos

‘‘Tu as raison qu’il faudrait partir d’ici avec le premier vent, car tout et tous sont morts autour de moi, enveloppés comme des momies dans leurs pensées de malades et leurs bandages de formules et de paroles toutes teintes des couleurs de leur imagination inerte […] je ferai bataille et je serai guérie et je serai hors d’ici en secouant la poussière davossienne de mes sandales à jamais ! […]

Je dois maintenant te dire comment je suis ici et pourquoi […] je me suis baignée au lac de Lucerne et de Kitzbühel et cela dans l’état de fatigue dans lequel tu m’as encore vu à Paris. Puis le rhume qui change en toux, et dans mon poumon gauche un commencement de légère cavité […] rien à faire qu’à rester ici, en ce qui s’appelle ‘‘repos complet […]

Ps : ma chambre est très charmante .’’

Gabriel du Genet, étudiant au sanatorium de Saint Hilaire du Touvet, écrit un texte en souvenir à Jacques Van Langenhove, son ami décédé de la tuberculose.

L’auteur écrit son texte comme un récit (historique), celui d’un jeune homme apprenant qu’un de ses camarades, soldat, est décédé. Cette mise en scène, est peut être une manière de mettre une distance, de faire le deuil de Jacques Van Langenhove. Il permet aussi à Gabriel du Genet de partager sa tristesse, mais aussi ses craintes, ses doutes. L’écrit met aussi en exergue toute la relation à la mort que peut avoir un jeune homme, un jeune homme atteint, lui aussi, par la tuberculose, et hospitalisé en sanatorium.

Il s’agit là d’un texte poignant, à la fois porteur de vie, d’espoir (faire le deuil, et continuer de vivre, continuer le combat), mais aussi porteur de crainte, de doute.

La tuberculose devient un combat (la guerre qui prend des soldats), les malades mènent une lutte contre l’ennemi. Le fait d’actualité (la mort d’un camarade de la tuberculose), vient se mêler à un autre fait d’actualité (la seconde guerre mondiale).

Gabriel du GENET, EXISTENCES Bulletin trimestriel — Octobre 1941

MORT D’UN GARÇON
En souvenir à Jacques Van Langenhove
“Que votre volonté soit faite.”
Le caporal continue à distribuer les lettres ; il a tenu aussi celle-ci entre ses mains ; et maintenant, je l’ai ouverte et lue.
Dubard — Durieux — Duzès.
“Que votre volonté soit faite mon Dieu.”
“Non pas résignation de ma part, ni que je crois en vous, mais je ne puis que dire ces mots, parce que ces mots tout faits, sont les seuls que je puisse articuler même tout bas.”

Je me suis assis sur un banc, près de la table, et je relis la lettre. Dans la lettre il y a :
“L’aspirant Gilbert voisin est mort ; je n’ignorais pas votre amitié ; j’ai pensé qu’il fallait vous avertir comme il faut avertir un frère.”

Le bruit de la chambrée continue.
Je me lève, cherche ma paillasse, je la distingue à travers une brume. Quoi, des larmes ! Je m’allonge. Un garçon me parle. L’imbécile ! Impossible de ne pas pleurer. «Rien. Je n’ai rien. Non.»

Je sais que les hommes pleurent aussi. Et les larmes d’hommes viennent de loin. Elles poussent, elles sortent, elles tombent sur les joues et les mains. Un ami est mort. Quoi. Vais-je porter le deuil. Que m’était-il ? Je ne veux rien de trouble ou d’équivoque. Sans doute il avait un beau visage ; mais je n’ai pas trop d’estime pour les contrefaits ; sa bonne mine m’évita, les premières heures, méfiance et doute ; et puis elle était mêlée à sa personne ; impossible d’aimer seulement son esprit ou sa bonne mine ; il était lui et j’étais moi. Moi-même et mon meilleur : celui qui dédaigne l’affectation, qui n’a cure d’être estimé à sa valeur ou davantage ; pas absolument naturel, mais autant qu’il le fallait pour qu’il le fût autant, c’est à dire lui-même.
Me voici donc vivant sur ce lit, — et lui mort.
Pas un des mots que l’on dit autour de moi ne parvient à mon oreille.
Il m’isole de tous, comme autrefois, sur les bords de la Seine, nous parlions attentifs seulement à nos vérités et il y avait partout des voix de femmes, de remorqueurs, le bruit de pas. Je me force à écrire, non pas pour l’analyse, dont je me moque, mais pour ne pas pleurer encore.
Pourquoi ?
Tu es ému parce que t’est révélé aussi brusquement qu’un être aussi jeune que toi peut mourir. Tu le savais sans doute, mais pas d’expérience. En voici un que tu as connu : il meurt.
Ce décalage entre l’âge des morts et le tiens — (il te donnait encore cinq mois ou cinq ans à vivre dans tous les cas) — il n’existe plus.
Et puis cette promotion t’épuise, te voici familier d’un mort. Tu l’as bien connu. Tu sais comment il respirait, souriait, nageait, et voici que ce sont des respirations, des sourires, et des nages de mort. Impression de participer brusquement à un secret puisqu’un être qui n’en avait pas pour moi, sait brusquement. Quoi ? Ce que dit la mort.
Mais pas d’oraisons je te prie — songe qu’il est mort. Et voici de nouveau les pleurs. Bruits de cuillers.
Le caporal-chef de chambre se penche sur moi comme sur un cadavre. — «Il n’y a rien— pas faim — ça arrive.»
Il ne faut pas pleurer, je sais, mais pas de votre pitié.
Ces cuillers vont elles enfin épuiser le potage ? Elles sonnent dans mon silence.
— Il est vraiment interrompu de rire, de sourire, ce n’est pas croyable. Il a tiré tant de sonnettes par jeu et les portes qu’il a ouvertes, et les femmes qu’il a regardées. Est-ce que je pense à toute ces choses pour disperser ma douleur ? Elles reviennent, proches de lui, et lui revient. Je sais à présent qu’il avait franchise, intelligence, sensibilité. Ce seul portrait suffit. Je connais ces traits-là davantage que la couleur des ses cheveux, de sa peau, de ses lèvres…
… Et même ces qualités me sont indifférentes. J’ai dédaigné tant de sensibles, de francs et d’intelligents. Mais pas celui là. Alors je l’aimais pour les autres. […]

Le corps est malade, et dans la représentation qui en est faite se matérialise les signes de la maladie. Le poème, qui suit, fait une description de la maladie au travers d’une mise en scène charnelle.
Par ailleurs, le lieu, dans lequel évoluent les corps, rappelle quelque peu le sanatorium (ou du moins un établissement de soin). L’ensemble du texte semble se faire l’échos d’une allégorie à la maladie, au regret d’un être cher, aimé, fruit d’une passion.

Auteur inconnu, Poème extrait de la revue Existences, n°34
ABSENCE

Sur le mur blanc ta fenêtre d’hier est vide…
Libre la bouche obscure et pleine de douleur.
Une peine fiévreuse, une lèvre rigide…
L’horreur d’un cri muet figé sur la pâleur
De ce mur corrompu d’où tu t’es arrachée.
Blessure en vain fouillée en vain vibrant de toi :
Sans fin je dois créer ton image penchée
Qu’au bout de mon regard la nuit poreuse boit.

Absence… Nos ombres du passé que l’espace a serties
Rejoignent les lointains surpris par les remous
De l’amour désuni. Aux routes pressenties
Mon double cœur fiévreux fatigue un sang jaloux

D’où naît le filigrane étiré de nos drames.
— Les lieux cent fois cousus du stigmate des corps
Bercent le souvenir endormi sur leurs trames —
Figés sur les chemins tous les sillages morts
Mêlés, toujours distincts, les soirs tristes de glace
Envieux des chagrins neufs gercent sournoisement
La chair vive qui brise une inviolable place.
J’épie au cœur du vide un subtil mouvement
Qui me fera saisir ces fils de chairs détruites,
Ces dessins transparents deux fois inachevés,
Les tordre et transsuder des souffrances produites
L’essence des secrets que les corps ont gravés.

Ton ombre autour de moi qui te révèle :
Dans sa gaine d’azur chaque geste enfermé,
Aux endroits épousés ton souvenir fidèle
Où pour mieux nous unir mon corps est imprimé,
La couleur de tes yeux comme un nuage née
Sur le pur transparent qu’ils ont tout imprégné…

ABSENCE
Où l’arche court de la dune acharnée
Des espoirs prévenus au rivage éloigné

Photo personnelle, vitrail de la chapelle du sanatorium de Praz-Coutant, PASSY

Le corps du malade de la tuberculose se retrouve aussi dans l’iconographie sacrée. Le vitrail de la chapelle du sanatorium de Praz-Coutant met en scène des personnages du sanatorium directement dans une scène religieuse. Ainsi au centre du vitrail se trouve étendu sur un linge, les yeux et les paumes vers le ciel un malade (atteint de tuberculose). Dans la foule regroupée autour du malade on peut reconnaître les médecins (deux détails de vitrail à gauche), et le médecin chef (deuxième détail du vitrail, avec une blouse blanche).

Cette mise en scène donne au corps du malade une dimension sacrée. La posture allongée de la cure est ici celle du corps étendu, présenté à Dieu, attendant la guérison, ou le soulagement…

Le rapport à la mort est suggérée par l’air livide du malade, les visages attristés ou inquiets. Les médecins, porteurs de soins curatifs, sont eux en retrait dans la foule, comme pour signifier qu’à ce moment précis la science donne le relais… L’attente d’un miracle… Seul la lumière des cieux et de son astre céleste possède le pouvoir d’agir (guérir, ou soulager l’âme…).

Ce vitrail, comme beaucoup d’éléments constituant le décorum des lieux, donne une trace visuelle et matérielle de la lutte contre la Peste blanche. Il est aussi le détail d’une architecture engagée…

PARTIE 7 : L’ARCHITECTURE (Implantation, morphologie, relation avec le lieu, expression architecturale, détails, correspondance avec les utopies)

SANATORIUMS

SANATORIUM D’AROSA

Population : Sanatorium réservé à une population aisée
Architecture : Modèle germano-suisse
Construction : 1888

Sanatorium d’Arosa — photo Brandt

Le sanatorium d’Arosa est très représentatif des modèles germano suisse. On peut remarquer son style résolument traditionnel (avec par ailleurs une tourelle sur l’aile Ouest), et surtout un bâtiment unique imposant, rappelant les grands hôtels.
Le lieu est fréquenté exclusivement par les classes les plus aisées. Cela se traduit à la fois dans le plan où l’on voit une distribution du rez-de-chaussée entre différents espaces de détente (dancing, coiffeur, restaurant, bar-dancing…) ; et à la fois au travers de la photo du salon richement décoré.
Le sanatorium est aussi connu pour avoir acceuilli le poète Paul Eluard en 1912 qui était atteind par la tuberculose. C’est durant les longues journées de cure de repos et de soleil que l’homme se trouve un goût pour la poésie.

SANATORIUM DU MONT-BLANC (PASSY)

Population : Sanatorium populaire, acceuil de 287 malades
Architecture : Modèle germano-suisse,
Architecte : DUPUIS
Construction : 1926–1929 (inauguration).

Photos personnelles (Mai 2011)

On remarque le travail minutieux touchant l’aménagement intérieur. Le sanatorium n’est pas uniquement un lieu de soin, c’est un lieu de projection vers le futur, vers la guérison, vers des horizons lointains où s’échappe le corps immobile grâce à l’esprit.
La chapelle est un lieu symbolique, d’espoir, de recueillement ; c’est un espace intéressant pour l’architecte qui y travaille les ambiances (luminaires, ouvertures zénithales), le mobilier (sièges) et qui dessine même certains accessoires de cérémonie.

SANATORIUM DE DAVOS (SUISSE)

Population : Sanatorium populaire
Architecture : Modèle germano-suisse,
Architecte : Carl Wetzel
Construction : 1889

Sanatorium de Davos, SUISSE — Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

La façade a été modifiée en 1928, par l’architecte Rudolf Gaberel d’où une influence de l’architecture moderne (toit terrasse, fenêtres en bandeau, individualisation et balcons)

Le «Queen Alexandra» fut agrandi en 1925 d’un solarium sur le toit, par Rudolf Gaberel.

Le sanatorium de Davos a été pendant la montée du nazisme en Allemagne, et pendant la seconde guerre mondiale une sorte de microcosme représentatif de la situation à plus grande échelle. Sa gestion sera soumise à l’Allemagne nazie par ailleurs, et il accueillera des malades appartenant à l’armée allemande…

Un film documentaire explore cette page de l’histoire. Dans A l’ombre de la montagne, Danielle Jaeggi — Suissesse établie à Paris depuis 1971 — recoud des archives filmées et des traces de son passé intime. En cette période, son père avait été un phtisique soigné au Schatzalp, le sanatorium davosien que Thomas Mann avait mythifié dans La montagne magique. François Jaeggi, un antifasciste forcené. Dans les lettres d’amour destinées à sa femme, il dépeint l’évolution insidieuse de la peste brune jusqu’aux ourlets amidonnés et immaculées de son lit triste de curiste.

Les propos de l’écrivain et journaliste, Gilbert Salem, sur son site personnel, décrivent la situation :

A Davos, peste blanche et peste brune

A 60 lieues de Leysin, un esprit différent enfume les couloirs blancs des sanatoriums de Davos, l’autre grande station climatérique de la Suisse. Traditionnellement majoritaire, la clientèle allemande se renforce dans les années trente . Dès 1933, le Parti national- socialiste la noyaute depuis Berlin. Il entend faire de ce microcosme de compatriotes en cure aux Grisons une enclave en territoire neutre. Pour convaincre ou confondre les éléments réfractaires au nazisme qui s’y trouvent, il peut compter sur un séide helvète, Wilhelm Gustloff, né en Poméranie. Or l’assassinat en 1936 de cet activiste par un jeune juif est une aubaine pour Hitler qui dénonce triomphalement un complot sémite mondial contre son Reich.

Entortillée dans ses fourbis diplomatiques, la Suisse adopte un profil bas. Plus tard, durant la guerre, elle laisse contrôler les sanatoriums de Davos par l’Allemagne, ses finances brunes et sa furieuse propagande. Si Berne fait obstacle à l’entrée de juifs dans son territoire, elle octroie à des nazis tuberculeux des bons de séjour sur les rives de la Landwasser. En échange du charbon de Silésie, elle fournit à l’armée allemande les trois quarts de sa production d’alumium.

SANATORIUM FELIX MANGINI

Population : Sanatorium populaire, acceuil de 120 malades
Architecture : Modèle germano-suisse
Construction : 1898 à 1900

Sanatorium Félix Mangini d’Hauteville Lompnès 01110 — Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

Sur le plateau d’Hauteville, l’engagement du docteur Dumarest, permet la construction de plusieurs sanatoriums.

Le premier d’entre-eux est le sanatorium Félix Mangini, construit en 1900, par l’architecte Germain. Son architecture s’inspire clairement des modèles allemands et suisses. Il s’agit du premier sanatorium populaire d’altitude réalisé en France.

Suite à cette première construction, trois autres établissements sont construits (sur le mode germano suisse également, sauf celui d’Albarine) : Bellecombe (1904), Belligneux (1912), Albarine (après la guerre 14–18).

BELLECOMBES (FRANCE)
Sanatorium populaire
Modèle germano suisse Architecte :M. Germain Construction : 1902–1904

BELLIGNEUX (FRANCE)
Classe moyenne
Modèle germano suisse Architecte :M. Curny
Construction : 1909–1912

L’ALBARINE (FRANCE)
Classe aisée
Modèle germano suisse Façade moderne
Architectes : Julien et Du- hayon
Construction : 1928–1930

La cité sanitaire s’agrandit très vite. Elle comprendra à terme une quinzaine d’établissements.
La façade du sanatorium d’Albarine est modifiée un à deux ans après la réalisation du sanatorium. Elle adopte un profil moderne (fenêtres en ban- deau), et acceuille des balcons. Notons que ce sanatorium est destiné à une population très aisée.
La station voit son essor interrompu suite au refus de la municipalité d’accéder à la demande de la Mission Américaine de Préservation contre la Tuberculose. Celle-ci souhaitait financer de nouveaux établissements, et construire une ligne de chemin de fer pour les desservir.
Ce refus est en partie du à la peur de voir la commune devenir un acceuil massif de ‘‘tuberculeux’’.
Ce refus profitera à la commune de Passy, qui bénéficiera de ces financements, et deviendra la principale station d’altitude en France…

SANATORIUM DE SANCELLEMOZ (PASSY)
Population : Sanatorium pour les classes aisées, acceuil de 197 malades
Architecture : Modèle moderne
Architecte : Paul Louis Dubuisson
Construction : 1931

-1- Carte postale, Ed. Real-photo (année inconnue) / -2- Photo personnelle, hall d’entrée / -3- photo personnelle, toiture terrasse du sanatorium

Ce sanatorium est connu pour avoir acceuilli de nombreuses personnalités du 19ème et 20ème siècle telles que la famille Stravinsky, et Marie Curie qui y est décédée. Il était réservé à l’élite.

Son architecture est résolument moderne. Sa structure est en effet en béton, et il est couvert d’un toit plat. Toutefois il n’est pas conçu pour capter au maximum la lumière, comme le seront les sanatoriums de Henri Jacques Le Même et Pol Abraham. On peut toutefois dire qu’il préfigure l’architecture à venir de ces “bijoux architecturaux”.

COMMUNE DE PASSY

La commune de Passy va devenir la première station d’altitude en France.

On y trouve une trentaine de sanatoriums, donc quatre principaux sur le plateau d’Assy, ainsi que deux projets.

Les sanatoriums du plateau d’Assy ont été construits à différentes époques. Chacun adopte une architecture décrivant les diverses influences architecturales.

Les quatre sanatoriums sont : le sanatorium de Praz-coûtant (1923–1928) ; Roc-des-Fiz (1929–1932) ; Guébriant (1932–1933) ; Martel de Janville (1932–1937).

SANTORIUM DE PRAZ-COUTANT (PASSY, FRANCE)

Population : femmes uniquement
Architecture : Modèle américain ou pavillonnaire.
Architecte : Henri Jacques Le Même
Construction : 1923 - 1928

Sanatorium de Praz-coûtant — Architec- ture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

On remarque un bâtiment central sur le plan de masse. Il est imposant et concentre les services et les structures médicales. De nombreuses ramifications s’étendent ensuite, elles correspondent aux chemins menant aux pavillons. Chaque pavillon abrite en général 6 chambres (d’une à deux personnes), et chaque chambre possède un balcon.
La forme architecturale, avec ses toitures rappelle quelque peu l’architecture traditionnelle. Toutefois, les balcons et les fenêtres suggèrent l’influence de l’architecture moderne.

Photo personnelle

Le financement du sanatorium s’est fait grâce à des fonds d’investissement privés (sortes de mécènes), ou à des dons de collectivités. Ainsi on peut voir sur la photo ci-contre, inscrit le nom de la ville de Lille sur un des pavillons dont elle a financé la construction.

SANTORIUM DE ROC DES FIZ (PASSY, FRANCE)
Population : enfants
Modèle mixte
Architectes : Henri Jacques Le Même et Pol Abraham
Construction : 1929 - 1932

Sanatorium de Roc des Fiz — Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard
Sanatorium de Roc des Fiz, bâtiment principal et pavillon de cure durant leur construction — Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

Ce sanatorium pour enfants présente des pavillons, qui sont des dortoirs avec pour chaque dortoir sa galerie (long balcon). Ces pavillons communiquent avec bâtiment principal grâce à des galeries couvertes. Celle-ci permettent l’accès direct aux structures médicales, aux salles de classe, et au réfectoire sans aller dehors. Il est original puisqu’il présente à la fois les caractéristiques d’un modèle germano-suisse et d’un modèle américain.

Cette particularité s’explique par la migration des idées et concepts architecturaux au travers des différents pays dans le contexte de la lutte contre la peste blanche. D’ailleurs, la disposition des différents bâtiments rappelle celle du sanatorium de Paimo, réalisé par Alvar Aalto, et qu’avait visité Pol Abraham.

Sanatorium de Roc des Fiz, photo et coupe du bâtiment principal — Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Crem- nitzer — Ed. Picard
Sanatorium de Roc des Fiz, croquis et coupe du pavillon de cure — Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

SANTORIUM DE GUEBRIANT (FRANCE)
Population : classes moyennes et aisées
Architecture : Modèle mixte, et marqué par les réflexions modernistes.
Architectes : Henri Jacques Le Même et Pol Abraham
Construction : 1932 - 1933

Sanatorium de Guébriant - Architecture et santé Le temps du sa- natorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

Ce sanatorium est plutôt sur un modèle pavillonnaire, marqué par les réflexions mo- dernistes…
Ainsi on retrouve au niveau de la coupe, une mise en escalier des balcons, pour ne pas géner l’entrée de lumière dans la chambre (ce que ferait un balcon traditionnel).
Certains pavillons sont directement reliés au bâtiment principal par des galeries cou- vertes. Le bâtiment principal comporte des chambres (contrairement au bâtiment prin- cipal du style américain).

Sur les vues intérieures on peut voir, une fois de plus, les espaces intérieurs baignés de lumière, parce qu’elle joue un rôle bactéricide certain. Ici la décoration (mosaïques de carrelage, mobilier réalisé par Jean Prouvet) met l’accent sur l’intérêt porté à l’aménagement intérieur.

-1- Sanatorium de Guébriant, réfectoire — fond Pol Abraham / Sanatorium de Guébriant, mobilier de chambre dessiné et réalisé par Jean Prouvet — fond Pol Abraham
Photos personnelles

SANTORIUM MARTEL DE JANVILLE (FRANCE).
Population : classes moyennes et aisées
Architecture : réadaptation par une vision architecturale moderne
Architecte : Henri Jacques Le Même et Pol Abraham
Construction : 1932 - 1937

Sanatorium Martel de Janville, — Fond Pol Abraham

Le bâtiment bien qu’il soit ‘‘monobloc’’ comme ceux de style germano suisse, ne suit pas véritablement ce style. La disposition des ailes est asymétrique, le style architectural est résolument moderne, enfin le bâtiment de service et les logements du personnel se prolongent vers l’arrière… Autant de détails qui rendent le style architectural du sanatorium Martel de Janville inédit.

Les intérieurs du sanatoriums sont soignés : cage d’escalier au style moderne et minimaliste ; salon design donnant sensation de confort et de luxe,large fenêtre ronde mettant en scène le dehors.
L’intérêt sur l’aménagement intérieur se retrouve également dans le design du mobilier des chambres confié à Jean Prouvet.

Le réfectoire est baigné de lumière. Ici encore l’ensoleillement joue un rôle bactéricide certain. Les mosaïques de carrelages, les trames voutées témoignent une fois encore de l’attention particulière des architectes dans le traitement des espaces intérieurs.

Sanatorium Martel de Janville , dessins techniques et coupes du mobilier de chambre — Fond Pol Abraham.

SANTORIUM DE PLAINE JOUX (projet)

Population : population bourgeoise, population modeste, et classes moyennes
Architecture : modèle influencé par l’architecture moderne. Architecte : Pol Abraham.
Construction : resté à l’état de projet à cause de la crise économique des années 30

Affiche de présentation du projet de Plaine Joux de R.Soubie, PASSY — Ar- chitecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard

Le projet de sanatorium de Plaine Joux est probablement l’un des plus ambitieux et atypique. Malheureusement, à cause de la crise économique il ne fut pas construit.

Le projet se composait :
- d’un bâtiment principal (abritant chambres, espaces de détente, galerie de boutiques, structures médicales) destiné à accueillir une population plutôt aisée ;
- de pavillons de cures destinés à acceuillir des classes populaires ;
- de chalets destinés à accueillir les familles souhaitant soigner le malade elles-même (issus de classes moyennes voir aisées).

Il convient d’effectuer sur le malade une reprise à zéro. Laver ses erreurs et ses préjugés, redresser sa manière de penser et de sentir, déformées de nos jours par les conditions anormales du travail spécialisé, par la vie des grandes villes et les faux-idéals ; luis refaire un tonus dynamique par une véritable rééducation.

Balcons : détail de façade et plan du projet de Plaine Joux PASSY — Fond Pol Abraham

L’une des principale caractéristique du projet est l’ensemble des balcons créant un édentement de la façade. Ce système de balcon, inédit, résout les problèmes posés par les balcons traditionnels (qui diminuent la luminosité dans la chambre), et les problèmes posés par les balcons en escaliers (qui imposent une importante profondeur de bâtiment au fur et à mesure que celui-ci gagne en hauteur). Il permet donc au balcon et à la chambre de bénéficier de la même luminosité.
D’ailleurs en terme de réponse aux besoins thérapeutiques que doit fournir le sanatorium l’article qui suit annonce :

Le phare, 16 Mars 1929
(Fond Pol Abraham, bibliothèque Kandinsky, centre GeorgePompidou PARIS)

Notre pays va comporter un village climatérique qui comprendra un sanatorium et des chalets […]
Au cours d’une récente réunion du conseil médical, le docteur Calmette a déclaré que jamais, pas plus en Amérique qu’ailleurs, il n’avait vu un sanatorium aussi bien compris que celui là’’

SANTORIUM DE PLAINE JOUX (projet)

Population : milieux modestes, classes moyennes.
Architecture : Modèle influencé par l’architecture moderne.
Architecte : Pol Abraham.
Construction : resté à l’état de projet à cause de la crise économique des années 30

Projet du sanatorium de PASSY — Fond Pöl Abraham

La forme elliptique suit le trajet du soleil. Les balcons ont leur face inférieure qui s’incline afin de modérer la diminution de lumière dans les chambres du dessous.

SOLARIUMS TOURNANTS

Les différents projets architecturaux ont donné un terrain fertile à la réflexion des architectes : l’utopie citadine vis à vis de la montagne, la vision hygiéniste, et l’insistance des sciences et de leurs acteurs quant à la nécessité de l’ensoleillement et de la ventilation.

Dans cette continuité, d’autres architectures analogues aux sanatoriums font leur apparition… C’est le cas des solariums.

Quelques dates :
1904 : villa du docteur Pellegrin, appelée aussi villa tournesol (parce qu’elle suivait le soleil en tournant sur elle même à 360°). Architecte : Eugène Pierre Petit.
1915 : deux cabines sur rail circulaire installées sur le toit du sanatorium de Davos-Platz d’un
1927 : Brevé déposé au Royaume- Uni d’un système rotatif pour le traitement de la tuberculose par rayons UV. Projet de Georges Michel Lecuyer et de Henri Jubault Désiré.
1930 : Inauguration du solarium du docteur Saïdman à Aix-les-Bains

-1- solarium d’Aix-les-Bains Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe / -2- villa tournesol du docteur Pellegrin

La base du travail du docteur Saidman est l’ensoleillement et les propriétés thérapeutiques permises par ses rayons (infra-rouges, ultraviolets)…

Il crée en 1925 l’institut d’actinologie, dont les locaux se situent à Paris. L’institut bénéficie de financements publics. Il peut accueillir une population modeste grâce à ces financements.

Plage artificielle au centre d’actinologie de Paris. Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

Les ultraviolets interviennent au niveau de la peau. Ils stimulent la synthèse de la vitamine C qui joue un rôle important dans le métabolisme osseux. L’ensoleillement et l’action des UV permettent de lutter contre les ostéolyses dues à la tuberculose osseuse.

Publicité vantant les rayons ultraviolets. Les solariums tournants du doc- teur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

L’architecture du solarium reprendre, pour son socle, la forme d’un toit traditionnel losangé, sur lequel vient se fixer l’élément pivotant avec ses cabines de soins.

Solarium d’Aix-les-Bains / Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

Le plan nous indique la partition du socle, qui comporte lui aussi des cabines d’ensoleillement. Dans les cabines (du socle ou de la partie pivotante), un ensemble d’appareils brevetés par le docteur Saidman concentre les rayons lumineux, diffracte, réfracte la lumière afin de moduler les effets sur la peau.

Le solarium accueille une population aisée tout d’abord. Les tarifs varient du simple au double selon le type de thérapie (par UV, par Infra-rouges…)

Les malades soignés sont des personnes peu atteintes. Le seul établissement pouvant les loger à Aix les Bains sont les thermes. Ors ces dernières sont soumises aux normes sanitaires d’un hôtel et ne peuvent donc pas recevoir de patients très malades…

En 1932 un projet de transfert du solarium sur le toit des termes d’Aix les Bains est envisagé. Malheureusement le solarium étant un bâtiment privé, non agréé par le ministère de la santé, les termes ne peuvent l’accueillir.

Cela n’empêche pas le solarium de s’exporter :

  • En Inde tout d’abord. En effet le Maharadjah de Nawanagar (très intéressé par ailleurs par les progrès techniques de son temps) souhaite faire construite un solarium tournant dans son Etat. Le solarium réalisé, et en partie assemblé à Anvers, sera ensuite acheminé en paquebot jusqu’en Inde, dans la ville de Jamnagar. L’inauguration a lieu en 1934.
  • Sur la côte d’Azur avec le solarium tournant pour le sanatorium de l’institut d’actinologie à Vallauris, inauguré en 1935.
1–1 Solarium tournant de Jamnagar, Inde. / -2- Sanatorium de l’insitut d’actinologie à Vallauris et son solarium tournant / Les solariums tournants du docteur Jean Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

Comment une entreprise aussi inédite, ambitieuse et fruit d’un investissement collé- gial autour du docteur Saidman a-t-elle pu finit en faillite ?

La mauvaise gestion de l’institut d’actinologie, les lois de Vichy, sont autant d’éléments qui vont entrainer le cessation des activités du solarium d’Aix les Bains, et du sanatorium… Parallèlement à ce déclin, certains travaux (tels que ceux du docteur Raymond Latarjet) sur la photobiologie, mettent en évidence les effets cancérigènes de certains ultraviolets.

En 1934 le ministère de la santé cesse, sans préavis, de subventionner l’insitut d’actinologie. Il reste néanmoins la rentrée des reliquats du prêt fait à la caisse des dépôts. La conséquence est que cette dernière réclame davantage de sièges au conseil d’administration (CA). Le docteur Saidman perd alors le control de l’institut avec une minorité de ses appuis siégeant au CA. Qui plus est la situation est tendue entre le docteur et son adjoint Sarraz-Bourget (haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur par ailleurs).

La construction du sanatorium de Vallauris n’est pas moins compliquée. En effet le docteur Saidman se plaint des honoraires de l’architecte Sousy (parent de Sarraz- Bourget). Il reproche à l’architecte d’utiliser des procédés constructifs couteux, et de choisir des éléments de mobilier luxueux.

Lettre écrite à Sarraz-Bourget par le docteur Saidman en 1934 — collection V. Delaye
L’architecte a supprimé des choses indispensables et réalise des futilités. Il a passé, sans autre autorisation que la votre, des commandes de mobilier ou d’objets très chers pour leur qualité. Son manque de surveillance et ses procédés ont coûté cher à notre œuvre. Je comptais sur vos relations étroites avec lui pour l’empêcher de faire ces erreurs ; c’est le contraire qui s’est passé.

Malgré ces évènements Jean Saidman ne démissionne pas, il se laisse convaincre par son adjoint, et prend la direction d’Actinopolis (Sanatorium de Vallauris) fin décembre 1934 lors de la fin des travaux.

Notons que le solarium, initialement prévu pour se trouver sur le toit du sanatorium, sera construit à 300m d’Actinopolis. Le financement de sa construction sera assuré à la fois par des fonds de l’institut d’actinologie et par des fonds de la société anonyme du solarium d’Aix-les-Bains (cela aura des conséquences par la suite).

Le sanatorium est inauguré le 10 Février 1935, en présence de grands noms de la médecine, de hauts représentants de l’Etat, et des collectivités territoriales ; le tout devant un parterre de journalistes.

L’éclaireur de Nice et du Sud-Est, Février 1935.
A 10h08 au train bleu, les personnalités officielles et médicales, invitées à cette inauguration, arrivent en gare de Cannes, où elles étaient saluées par M. Darbou, sous préfet de Grasse, représentant M. Mouchet, préfet des Alpes Maritimes, et le docteur Jean Gazagnaire maire de Cannes. Puis des voitures et des cars spéciaux conduisaient à l’institut d’actinologie, par la route de Golf-Juan-Vallauris, les nombreux invités

Le fonctionnement du sanatorium sera par ailleurs des plus chaotique. Premièrement l’établissement manque de personnel (qu’il n’a pas les moyens de prendre pour des raisons d’équilibre budgétaire). Il manque entre autre de laborantins et chimistes (impossibilité de faire les analyses médicales sur place), de mécaniciens (entretiens précaire des appareils), de mécaniciens orthopédistes…

Ensuite en Mai 1936 le front populaire arrive au pouvoir. L’augmentation des salaires, les congés payés, la semaine de 40 heures sont autant de surcoûts qui creuseront le déficit de l’institut. Ainsi il passe de 24 498 francs par mois à 115 991 francs par mois en 1936.

En 1937, du fait du déficit le sanatorium est fermé définitivement. S’en suit l’affaire du solarium de Vallauris. En effet le solarium a été financé à la fois par la société anonyme du solarium d’Aix-les-Bains, et à la fois par l’institut d’Actinologie. Cette affaire se résume par le refus de l’institut de respecter des engagements financiers pris lors d’une convention commune en 1934. La société anonyme et le docteur Saidman finiront par avoir gain de cause.

Cette polémique aura nuit à la réputation du médecin. Surtout avec la montée de l’antisémitisme. L’alerte en 1940 écorche son nom en Zaichtman et va jusqu’à rendre responsable le docteur de la fermeture du sanatorium et des déficits de l’institut d’actinologie… Son passé de soldat durant la première guerre mondiale, ses connaissances dans le monde médical et politique vont toutefois protéger le docteur durant l’occupation. Malgré la Loi du 16 Août 1940 interdisant l’exercice de la médecine aux Juifs, il obtiendra une dérogation. Pendant la guerre le solarium est utilisé pour soigner les soldats du Reich atteints par la tuberculose. Le docteur Saidman cachera malgré tout un couple de roumains juifs.

Portrait du docteur Saidman pour sa notice nécrologique parue dans synthèse de séméiologie et thérapeutique, t III, n°11, sept-oct 1949 — Les solariums du docteur Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.

Après la guerre Jean Saidman est ruiné, il mène toutefois un nouveau projet : l’ouverture d’un cabinet de radiologie qui ne verra malheureusement jamais le jour suite au décès prématuré du médecin, des suites d’une crise cardiaque, le 6 Juillet 1949 à l’âge de 51ans…

CONCLUSION

La tuberculose s’avère, du 19ème jusqu’au milieu du 20ème siècle, être un fléau touchant toutes les classes sociales des pays industrialisés.

Face à ce fléau, on établit une véritable politique sanitaire de construction et d’investissement. La montagne, et les lieux de haute altitudes semblent être les plus propices à accueillir les structures dédiées aux soin des malades.

Les sanatoriums apparaissent alors, au travers des mythes, tels des lieux salvateurs, permettant de soigner et de guérir de la ‘‘peste blanche’.’ Face à l’augmentation des cas (dans les villes et les quartiers populaires notamment), les sanatoriums populaires se développent en grand nombre ; ainsi qu’une véritable législation sanitaire.

Les rites soulignent quant à eux une autre réalité. Le sanatorium apparaît comme un lieu fermé, de quarantaine aussi parfois. Le quotidien est soumis à des règles sanitaires drastiques, et une cure de repos absolue.

Finalement le rapport au corps laisse souligner la passivité de celui ci : il est soumis à l’ensoleillement, et à l’action des rayons lumineux (réputés pour leur propriétés thérapeutiques). Le corps immobile voyage par la sublimation de l’esprit tel qu’en témoignent les nombreuses productions artistiques, littéraires des malades. Le corps rappelle aussi le rapport à la mort : le sanatorium est un lieu d’agonie et de décès…

Par ailleurs l’utopie citadine pour la montagne avec son atmosphère pure et bienfaisante ; pour le soleil et les propriétés curatives de ses rayons ; amènent les architectes à proposer des projets de sanatoriums toujours plus incroyables, se détachant des traditionnels modèles germano-suisses et américains (ou pavillonnaires). Naissent également des bâtiments de soin inédits tels que les solariums tournants, prouesses techniques dédiées au soleil.

Cet élan porté par l’utopie et les avancées techniques et technologiques se terminera dans les années 1950 avec l’apparition des antibiotiques et du vaccin antituberculeux. Maintenant encore certaines constructions persistent (utilisées à d’autres fin ou abandonnées) tels des récessus de ce contexte passé riche en enseignements…

BIOGRAPHIE

  • Les solariums du docteur Saidman — Thierry Lefebvre & Cécile Raynal — Ed. Glyphe.
  • Architecture et santé Le temps du sanatorium en France et en Europe — J.B Cremnitzer — Ed. Picard.
  • Les archives du fond Brancusi. Bibliothèque de recherche Kandinsky, centre George Pompidou, PARIS. Pol Abraham — Architecte, Frédéric Migayrou, Ed. Centre Pompidou.
  • Revues trimestriel Existences.
  • Recueil Premiers poèmes de Paul Eluard, ed Mermod.
  • Revue In architecture, mouvement, continuité, n°5, Octobre 1984, pages 48, 49 — Article Des espaces autres, de Michel Foucault.

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